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Au cœur de mon œuvre chorégraphique chemine une femme au visage multiple, leitmotiv de ma création. Filtrée, mûrie, incarnée, mon œuvre solo repose sur ma propre expérience. L’intériorité et l’authenticité du geste sont l’essence de mon langage chorégraphique. Cette matière intime, je la creuse et la façonne en une danse crue que je veux essentielle. Mon travail sur le corps s’apparente à celui d’un sculpteur qui enlève les couches de surface afin de dévoiler ce qui existe à l’intérieur. Établissant des connexions entre mon corps, ma vie intérieure et le mouvement, je cherche à révéler les dimensions profondes de la nature humaine. C’est avec le temps gravé dans les replis de mon corps et le désir incessant de repousser mes limites que ma danse se fait et se livre. Pour moi, la danse est un acte total, une offrande et un don de soi à part entière.

La notion de métamorphose — cet instant où le danseur se transforme et devient autre, animal, roche, arbre, vieillard — est aussi au cœur de ma quête. C’est en travaillant à la création d’Absolut (1989) avec Elisabeth Albahaca, actrice pendant 20 ans chez Grotowski, en Pologne, que j’ai commencé à explorer ce processus de transformation intérieure. J’ai ensuite poursuivi cette recherche dans ma collaboration avec Yoshito Ohno et par mon expérience avec le chamanisme.

Ce travail m’a amenée à pénétrer dans des zones inconnues et à développer une gestuelle qui prend sa source dans ce qu’il y a de plus profond en moi. Accéder à cette intimité, commune à chaque être humain provoque une ouverture et permet une communion entre le public et l’artiste. En touchant à l’universel, la danse, par l’évocation d’images, trouve une résonance dans le cœur du public.

Le Japon
De ma rencontre, en 2003, avec Yoshito Ohno, figure de proue du butô, est née une véritable complicité artistique. Bien que ma démarche chorégraphique soit différente du butô, cette collaboration nourrit ma recherche et me procure une grande liberté dans l’exercice de ma pratique. J’y reconnais une approche du corps que j’explore depuis 30 ans par d’autres voies d’expérimentation, avec une sensibilité et une démarche très personnelles. Ma longue expérience solo m’a rendue disponible et réceptive à l’essence du travail de Yoshito Ohno, lequel sollicite toutes mes ressources de chorégraphe et d’interprète. Ainsi, je réinvente chaque fois ma propre danse. Ma pratique artistique tente toujours d’atteindre l’être humain dans sa globalité, dans sa dimension à la fois charnelle, sensible, culturelle et spirituelle. La ferveur créatrice déclenchée par cette collaboration m’a donné une impulsion nouvelle, trois créations en témoignent : Eye (2004), Flower (2008) et In Between (2011).

Les œuvres in situ
Parallèlement à la création de solos en salle, j’ai entrepris les créations in situ évoquant le thème de la migration. Inspirée par l’immensité des espaces désertiques, la lumière, le silence, le temps en suspens, je transpose une entité, celle du solo, en une autre entité, celle de la masse traversant un espace naturel. Mes danses in situ, conçues pour des ensembles formés de jeunes danseurs professionnels de la relève, se révèlent en déplacements simples, aux dynamiques contrastées dans l’exploration de la lenteur et de la rapidité. Elles sont faites d’abandon et d’écoute et conduisent le spectateur à sa propre capacité d’intériorité et de contemplation.

La métamorphose et le chamanisme
Depuis 2003, j’ai participé à plusieurs ateliers organisés par la Fondation for shamanic studies créée par l’anthropologue de réputation internationale Michael Harner, un pionnier dans le retour du chamanisme à la vie contemporaine. Depuis 2010, je travaille à un projet de recherche sur le chamanisme qui m’a permis d’expérimenter, sous forme d’ateliers, le processus de métamorphose dans l’expérience chamanique. J’ai suivi les enseignements d’un chaman venant du Népal. La dernière étape de cette recherche s’est concrétisée en mai 2013 par un séjour chez les Ashuars, peuple indigène vivant dans la forêt amazonienne de l’Équateur. Cette recherche expérimentale m’a amenée à la création de Ciel et cendres, en mai 2014.

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A woman with a multiple faces, the leitmotif of my creations, winds her way through the essence of my choreographic work. My solos – filtered, ripened, and incarnated – , draw upon my own experiences. The interiority and authenticity of the gesture are at the heart of my movement language. I plumb this intimate material and shape it into a raw dance that I consider elemental. My work on the body resembles that of a sculptor who chips off the outer layers to reveal what lies inside. Establishing connections between my body, my inner life, and danced movement, I seek to reveal the deeper dimensions of human nature. Time is engraved within the flexions of my body as the dance unfolds, propelled by an incessant desire to push my limits. To me, dance is a total act, a wholehearted offering-up of the self.

The idea of metamorphosis is also at the heart of my artistic search – the moment in which the dancer is transformed into another entity: an animal, a rock, a tree, an old man. I began exploring this process of inner transformation while working on the creation of Absolut (1989) with Elisabeth Albahaca, an actor with Grotowski in Poland for 20 years, and continued it in my collaborations with Yoshito Ohno and my experiences with shamanism.

With this research, I was able to penetrate unknown zones and develop a gestural vocabulary sourced from what is deep within me. Gaining access to this intimate space, which is shared by all human beings, has led to an openness and the possibility of communion between audience and artist. By touching upon the universal, dance, through its power to evoke images, creates a resonance in the hearts of spectators.

Japan
My meeting, in 2003, with Yoshito Ohno, a leading figure of butoh, was an occasion of outstanding artistic complicity. Although my choreographic approach differs from his, our collaboration nourished my research and brought me great freedom in the exercise of my practice. In butoh, I recognize a concept of the body that I have explored for three decades through other experimental routes, with a very personal perspective and sensibility. My long experience with the solo form prepared me to be receptive to the essence of Yoshito Ohno’s work, which called upon all my resources as choreographer and performer. Thus, I reinvent my own dance at every occasion. My artistic practice is an unceasing attempt to embrace the human being in its overall dimensions: carnal, sensory, cultural, and spiritual. The creative fervour triggered by this collaboration led to three new works, Eye (2004), Flower (2008) and In Between (2011).

The site-specific works
Parallel to the presentation of solos in theatre venues, I have created several works for outdoor locations, principally based on the theme of migration. Inspired by the immensity of space, the light, the silence, and the suspension of time in the desert, I have transposed one entity, the solo, into another entity, the mass traversing a natural space. My in situ works, conceived for ensembles of professional dancers of the new generation, unfold in simple movements from place to place, with contrasting dynamics in the exploration of slowness and rapidity. They are made up of abandonment and receptivity, and lead spectators to discover their own capacity for interiority and contemplation.

Metamorphosis and shamanism
Starting in 2003, I participated in a number of workshops held by the Foundation for Shamanic Studies, an initiative of world-renowned anthropologist Michael Harner, a pioneer in the movement to bring shamanism into contemporary life. Starting in 2010, I was involved in a research project on shamanism through which I explored, in a workshop context, the process of metamorphosis in the shamanic experience. I also received instruction from a shaman from Nepal. The last stage of the project was a stay, in May 2013, among the Ashuar, an indigenous group living in the Amazonian forest of Ecuador. This experimental research led me to create of Sky and Ashes in May 2014.

Lucie Grégoire Danse

Mon travail sur le corps s’apparente à celui d’un sculpteur qui enlève les couches de surface afin de dévoiler ce qui existe à l’intérieur.

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My work on the body resembles that of a sculptor who chips off the outer layers to reveal what lies inside.